Article publié par Equinox le 04/11/2020.
Tous les premiers mercredis du mois, la librairie française Jaimes nous recommande les dernières nouveautés, sous la plume du libraire Christian Vigne.
Je n’ai jamais été, je l’avoue bien volontiers, grand amateur de l’œuvre de Jacques Prévert que j’ai toujours associée à un outil commun d’instituteurs tenus d’enseigner coûte que coûte la poésie à des gamins qui n’en ont rien à cirer, ce qui constituerait un point commun avec leurs maîtres. Ce parti pris forcé de trouver de la beauté ou de la pureté dans chaque chose de la vie ordinaire sur fond de morale un peu caricaturale que ce soit à l’écrit ou à l’écran m’est toujours passé un peu au-dessus de la tête. Toutefois, sans doute est-ce une question de légitimité, je n’ai jamais envisagé l’hypothèse que Prévert fût un con comme le fait Houellebecq sans ambages dans « interventions » (éd. Flammarion). Si Houellebecq parle ainsi de Prévert, c’est qu’il a des raisons de le faire. Et qu’on n’entende pas qu’il a raison de dire ce qu’il écrit mais qu’on cède à sa volonté exprimée en quatrième de couverture de convaincre de la validité de ses points de vue. Étrange supplique, du reste, de la part d’un auteur de cette stature qui s’exprime avec autant de brio sur une variété étendue de « sujets de société » ; le salon de la vidéo hot, la tentative de semi-réhabilitation du beauf, Neil Young, Emmanuel Carrère… Une référence brillante à Philippe Murray vient ponctuer le livre à mi-chemin, dans la plus grande cohérence.
L’approche de la connerie n’est pas une affaire aussi simple qu’il y paraît. Ce que nous démontre savamment Maxime ROVÈRE dans « Que faire des cons ? » chez Flammarion. Il faudrait distinguer les cons de la connerie, la deuxième devant être anéantie, ce qui poserait un problème si le même impératif devait s’appliquer aux premiers. En vérité, nous dit Maxime Rovère, la lutte majeure consisterait à faire en sorte de ne pas devenir soi-même une composante de cette catégorie toujours décriée mais si difficile à cerner car toute interaction avec nos semblables humains porte en elle-même le germe de cette « maladie du collectif et poison de nos vies individuelles ». Personne ne modifiera la conviction d’un con, personne ne sortira grandi d’une conversation avec le précité, aucun con ne modifiera son point de vue. Ce qui nous invite tous à envisager différemment cette lutte car un caillou dans la chaussure n’a besoin d’aucune intention pour faire chier son monde et l’absence de cette intention nous renvoie à de l’impuissance.
Bernard RETALI nous propose « L’assurance des pantins », un roman inspiré de faits réels. L’affaire est la suivante : un cadre d’assurance, plus que supérieur, est retrouvé pendu dans une chambre d’hôtel de luxe. Jean Beaumont s’est suicidé. Bernard Retali nous accompagne dans le parcours de cet homme dès son recrutement jusqu’à cette fin peu enviable. Rien ne présage cette fin, du reste, rien dans l’histoire de Jean Beaumont ne présage qu’il puisse devenir vice-président d’une multinationale. Voilà un type plutôt humble, sans doute un poil psychorigide, qui s’inclut étonnamment dans des mécanismes d’une imbécillité parfois consternante. La force de ce livre est son apparente simplicité, narration au présent, absence de jugement à tous les étages, progression dans une chronologie mortifère. Il se lit comme un thriller et s’apprécie comme une œuvre humaniste.