Article écrit par Boris Faure le 16/01/2021 pour lesfrancais.press
Il y a des matins comme ça ou rien ne va. Je me lève. Le ciel bruxellois pèse comme un couvercle sur une soupe à la grimace. Un café tiède, puis deux, puis trois qui abiment mon estomac. J’ai ma chronique littéraire à écrire. Ce n’est pas l’inspiration qui manque. C’est juste qu’une chanson trotte dans ma tête. Vous savez ces ritournelles obsédantes sorties du recoin obscur de votre cerveau qui sert de Jukebox intégré à votre mémoire.
Ici ça fait « Femmes femmes femmes » et c’est du Serge Lama. C’est obsédant. J’ai si honte. Une chanson un poil machiste et un poil ringarde alors que je me destine à écrire une chronique sur des femmes écrivains on ne peut plus modernes.
« Femme, Femme, Femme, fais nous voir l’amour sous son meilleur jour ».
A la dixième écoute mentale ce premier couplet finit enfin par sonner comme un signe. Mais c’est bien sûr ! Je vais vous causer du dernier roman de Chloé Delaume salué par un Prix Médicis tout à fait justifié.
« Le Coeur synthétique » de Chloé Delaume
« Coeur synthétique » (Seuil, 2020) parle justement d’amour. Sous un angle léger et plaisant. L’histoire d’une Quadra parisienne qui est propulsée après son divorce sur le marché très concurrentiel des célibataires de la capitale. C’est là que commencent les angoisses et questionnements que seule sa bande de copines pourra l’aider à surmonter.
Le livre ressemble à du roman « Feel Good ». De nombreux passages sont d’ailleurs drolatiques. Mais son traitement littéraire possède une valeur authentiquement sociologique. Les tourments sentimentaux des cadres économiquement intégrés mais amoureusement égarés qui peuplent les arrondissements de Paris et sa banlieue sont une réalité de fond. Ils sont aussi un écho de la vie de Chloé Delaume.
L’autrice ne dédaigne pas l’auto-fiction pour traiter son sujet et nourrir son personnage principal. Son héroïne n’est ni une victime ni une femme seule. Juste une personne en quête d’un nouvel amour qui va orienter sa recherche compliquée sous les conseils magistraux ou plus navrants de sa bande de copines. L’ode à la sororité du livre est totalement en phase avec notre époque où ces groupes de femmes, informels ou plus organisés, permettent à des femmes de se retrouver dans le cocon de l’exclusivité de genre. Pour s’exprimer en confiance, sans pression sociale ou culturelle. Des femmes libres. Des femmes plus heureuses.
(Un roman qui fera l’objet de la discussion du premier club littéraire de l’union des français de Belgique jeudi 21 à 20H).
La chanson ne me quitte pas. Crénom.
« Femme, Femme, Femme, fais nous du soleil »
« Une farouche liberté » de Gisèle Halimi
Gisèle Halimi portait le soleil de la Méditerranée dans son sourire rayonnant. Une guerrière du féminisme, elle la militante née en Tunisie et qui a porté toutes les luttes des femmes de ces soixante dernières années. « On ne naît pas femme on le devient ». Ce sont les derniers mots d’un livre de bout en bout puissant « Une farouche liberté « (Grasset 2020) recueille les mots de celle qui fut avocate, ministre et député, et qui dû dès l’adolescence refuser la soumission qu’on lui promettait dans son milieu. Emancipée, elle étudie le droit et enfourche des chevaux de bataille au service de l’égalité. Avec une énergie de lionne.
Elle lie la cause des femmes à celle de la justice quand elle défend des femmes condamnées à mort pendant la guerre d’Algérie. Elle n’a peur de rien et va jusqu’à l’Elysée plaider la grâce. Puis ce seront les procès médiatiques d’Aix en Provence puis de Bobigny où elle défend les victimes de viols et milite pour la légalisation de l’avortement. Elle essuie opprobre et crachats avec courage et dignité.
A travers ses combats gagnés de haute lutte on mesure combien la chape de plomb du machisme et du paternalisme a pu être forte et combien…le combat féministe nécessite encore de « farouches combattantes » pour remporter d’autres victoires nécessaires. Un livre qui fera naître des vocations pour reprendre le flambeau de la regrettée Gisèle Halimi disparue voilà plus d’un an.
C’est terrible. J’ai repris un café. Je suis tendu comme un arc de compétition. Et la chanson est toujours là.
« Femme, Femme, Femme n’aie pas peur de nous »
« Et la peur continue » de Mazarine Pingeot
Lucie, le personnage principal du dernier roman de Mazarine Pingeot, est une femme qui a peur. Dans « Et la peur continue » (Mialet Barrault, 2020) on sent cette sourde angoisse dès les premières pages étouffantes de ce livre qui vous embarquera par son style littéraire de haute tenue et la finesse du portrait d’une femme angoissée. La romancière offre ici un suspense psychologique, qui, telle une longue séance de psychanalyse, obligera Lucie à creuser toujours plus loin dans son passé pour y trouver la source de ses tourments.
Si Lucie a perdu sa cousine et son meilleur ami d’enfance dans des décès brutaux la douleur du deuil ne peut tout expliquer.
Ce roman très contemporain dit beaucoup de la difficulté plus large d’être femme dans une société française qui impose des injonctions multiples et contradictoires. De l’impératif de performance économique à l’impératif de maternité ou d’hédonisme. La source de la peur est donc plus existentielle et plus enfouie. Presque inscrite dans le corps des femmes et la manière dont la société en fait usage. Quelle femme n’a pas ressenti le stress de l’annonce d’une maternité à sa hiérarchie ? Quelle femme n’a jamais senti le poids des regards et le stress de prendre le métro dans une rame bondée?
Ce roman kaléidoscope interroge puissamment le statut de femme, de mère, de salariée ou d’amante. Il positionne définitivement Mazarine Pingeot comme une écrivain de premier plan qui embrasse dans son oeuvre des sujets contemporains sans tabou. Après le traitement du viol dans son roman précédent, ce seizième roman donnera matière à réflexion aux lectrices et lecteurs soucieux de plonger dans la psyché de l’époque grâce à une écrivain dont la formation de philosophe permet d’atteindre une profondeur rarement atteinte sur des sujets graves ou importants.
J’ai quand même envie d’enfouir ma tête sous un oreiller pour faire cesser la ritournelle de Lama…et ça fait maintenant :
« Femme, Femme, Femme, choisis ton endroit »
« Sur les ossements des morts » de Olga Tokarczuk
Olga Tokarczuk nous embarque dans la campagne polonaise austère et déshéritée, à la frontière de la République Tchèque. De cette géographie littéraire improbable elle tire un roman éblouissant. L’auteur consacrée par le prix Nobel de littérature est le portrait vivant d’une Pologne progressiste et lettrée, féministe, écologiste et végétarienne. Voilà qui change de la Pologne conservatrice et anti-européenne du gouvernement PiS.
La romancière met en scène un personnage qui lui ressemble. Une femme déjà avancée en âge, amie des animaux et astrologue amateur. Une personne considérée comme loufoque et marginale par ses voisins mais qui se transforme en enquêtrice déterminée après la mort étrange de son voisin. Le mystère s’épaissira d’ailleurs quand seront découverts aussi des cadavres d’animaux.
Ce roman panthéiste est un délice pour ceux qui ne boudent pas la littérature d’Europe centrale et qui souhaiteront rentrer avec facilité dans l’univers littéraire de la Nobel.
« Et pour finir…bien choisir son assurance »
J’étais sur le point de boucler cette chronique littéraire exclusivement féminine. La chanson de Lama ne me trottait plus dans la tête. J’étais guéri de ce mal étrange !
Les femmes, écrivains ou personnages, il en avait été question à chaque paragraphe de ce papier.
Alors, petit clin d’oeil aux amis auteurs vivant hors de France, ma conclusion sera consacrée à un livre que je vous recommande si vous aimez les polars et l’univers féroce des règlements de compte en entreprise.
« L’assurance des pantins » de Bernard Retali
Bernard Retali avec « l’assurance des pantins » propose un roman déjà classé parmi les meilleures ventes du site Librinova. Les lectrices et lecteurs seront sensibles à sa plume adroite qui permet à ce récit de se déployer dans un univers que l’auteur connait bien par expérience professionnelle. Le milieu de l’assurance. il est question d’un suicide suspect, de pressions terribles dans cet univers habituellement feutré et peu habitué à voir son fonctionnement en coulisse révélé au grand jour. Vous avancerez de règlement de compte en chausse trappe jusqu’à la révélation finale…Pas de temps mort. Du rythme et un vrai sens du récit.
Ceux d’entre vous qui ont aimé « La firme » de John Grisham ou la férocité du « Bucher des vanités » pourront trouver là un émule français de ces deux super stars des lettres. Une belle aventure de lecture en perspective.
Mais qu’est ce que j’entends ? Mon cerveau qui s’est rebranché sur un vinyle imaginaire ?
Et zut. « Et d’aventure en aventure », une nouvelle chanson de Lama qui vient de se greffer dans ma tête, contre mon grès.
Je suis maudit.